Les Amis du Clocher et du Patrimoine de Caux  

 
   
CARNAVAL de CAUX
 
 
 
 
 
RÉCIT DU CARNAVAL VERS 1875
 

Grâce au cahier de notes de Marius Dejean dans lequel il raconte son enfance à Caux, nous pouvons revivre de façon imagée le carnaval au village dans les années 1875.
Voici son récit :
Caux carnaval 1875
 

C’était après 1870, la France sortait appauvrie de la guerre. L’argent était rare, ma grand-mère me donnait un sou à partager avec mon frère (avec ce sou, on avait 4 berlingots gros comme la phalange du pouce). Mais à l’époque de carnaval, on se livrait à de véritables saturnales.

Les jeunes filles se déguisaient en homme et les jeunes garçons en femme. Ils allaient le soir à la veillée danser la gigue et se faire payer à boire de la clairette et manger des oreillettes, barquettes, tourtes ou biscotins.

Dans la nuit du samedi (avant mardi gras) les jeunes allaient dans la campagne arracher un figuier qu’on plantait sur la place publique, en attachant à ses branches des cornes de moutons sur lesquelles on écrivait le nom de tous les cocus ou soit-disant cocus du pays.
 
Les jeunes gens n’avaient pas le droit de paraître dans le pays du lever au coucher du soleil. Ils allaient faire "ribaude" dans un grangeot éloigné. Si quelqu’un repérait un jeune marié dont le nom figurait sur les cornes accrochées au figuier, on l’attachait aux barreaux des portails de la mairie où on le barbouillait de rouge ou de noir et tout le monde buvait à la santé et aux frais de la société du bal.
Caux carnaval 1875
 

La fête se déroulait au son du tambour et des fifres sous la baguette de Plampoun, maestro local qui ne connaissait pas une note de musique, jouait de mémoire ou improvisation, à tirer des airs dansants qui ont fait se trémousser trois générations de Caussinards, de mon grand-père à moi.
 
La fête se passait sur la place, où toutes les fenêtres et balcons étaient occupés par les jeunes filles et les belles dames qui ne s’imposaient pas dans les rues à cause des confettis, et du mélange de farine et de son qu’on leur jetait à pleines mains.
 
 
Dans le cortège, il y avait "les farcits de palha".
Des jeunes gens revêtaient des sacs de toile avec des trou
s pour passer les bras et la tête. Caux carnaval 1875

On bourrait le sac de paille et on le cousait par le bas.
Ces farcits se donnaient le bras et barraient la place en bousculant tout sur leur passage.
Les autres jeunes gens les bousculaient en faisant le "passaro" et les faisant tomber sur
le cul. Une fois par terre, ils ne pouvaient se relever et on les barbouillait de rouge et de noir.

 
 
Plampoun : André Delbès, ancêtre de Sylvette, Éliane et Marie-Claire Mercadier
Farcit de palha : farci de paille
Passaro : empêcher de passer


Le branle du soufflet rassemblait tous les hommes qui s’affublaient de chemises de femmes, très longues dans ce temps-là, et de bonnets de coton. En file indienne, un soufflet à la main, ils se soufflaient dans le derrière en chantant :
Caux carnaval 1875
 
Buffa i e al  cuol la pauvra vielha, buffa i e al cuol que n’a besonh.
(et soufflez lui au cul la pauvre vieille, et soufflez lui au cul qu’elle en a besoin)
 
On faisait volte-face et on recommençait. Il y avait aussi le branle des bergers qui, armés d’un bâton, arrêtaient de distance en distance la farandole qui se déroulait autour du village. Au son du fifre et du tambour, ils cherchaient à faire tomber les casquettes ou à toucher une partie du corps, sorte de jeu d’escrime !
 
Le plus pittoresque, c’était la fête de l’âne et des fous. On faisait monter le dernier marié de l’année ou un cocu notoire, ou celui qui battait sa femme… On allait le chercher en cortège à sa maison, on l’enveloppait avec l’âne dans un grand manteau vert et jaune.
On faisait du va et vient sur la place et autour du village, accompagné de fifres et de tambours. Un tonneau de vin blanc suivait et tous ceux qui suivaient étaient obligés de boire.
Les esprits s’échauffaient et la soirée se terminait souvent par des bagarres.
 
On faisait aussi en place publique des duels en vers pour se décrocher des piques.
 
Exemple entre le ‘’Charon’’ (père de Jérémi  Rasigade) et ‘’la Plana’’ (Albat, qui était illettré).
 


 
Charon : L’abilharem en Carnaval
Al cuol i metrem un pal
E fioc en mitan de la plaça
Per amusar la populassa

Albat es estat un temps 
Coflat queros a triple reng
Malgrat que seguesse pas bela
Te abrivara la cervela
Nous l’habillerons en Carnaval
Au cul nous lui mettrons un pieu
Et le feu au milieu de la place
Pour amuser la populasse

Albat a été un moment
Rempli de vermine jusqu’à la moelle
Et bien qu’elle ne soit pas belle
Je t’attraperai la cervelle


 
   
Réponse de la Plana (Albat) :  
  Charon siàs plan mal avisat
De t’en prene a l’enfant d’Albat
Sabes que soi nascut berlengo
E te faràs sentir sa lenga
Charon tu es bien mal avisé
De t’en prendre au fils d’Albat
Tu sais que je suis né bavard
Et je te ferais sentir ma langue
                                          
                                   
 

Charon : Ancêtre de Jacques Rasigade
Caux carnaval 1875
 
 

Le clou de la  fête était la farandole du ‘’Polin’’ qu’on promenait
sur la place et dans les principales rues du village escorté par des masques et des gosses.
 
Il était fait d’une carcasse en bois en forme du corps d’un cheval
(enveloppé par une étoffe à ras du sol)
et pourvu d’une tête de cheval emmanchée au bout d’une perche et qu’on pouvait raccourcir et rallonger à volonté.
 
Une dizaine d’hommes mariés, cachés à l’intérieur manoeuvrait la bête, portant sur son dos un homme et une femme habillés en mariés. Au moyen de ficelles, on pouvait les faire saluer ou bouger les bras. La tête du cheval était articulée et s’ouvrait à volonté pour qu’on y enfouisse dedans des pièces de monnaie, des gâteaux ou des bouteilles de vin blanc que s’administraient les porteurs de la bête car il faisait chaud sous cette enveloppe. De mon temps, le ‘’Couguet’’ affublé d’un costume à la Figaro et armé d’un tambourin dont il agitait les grelots en dansant devant le poulain conduisait le cortège. Les ‘’Gavachs’’, qui ne connaissaient pas cette bête, s’enfuyaient apeurés.
 

Pour terminer la fête, le 3ème jour (mardi gras) à la tombée de la nuit, on brulait sur la place publique un mannequin en chantant :
 
 
Caux carnaval 1875
Adieu pauvre adieu pauvre           Adieu pauvre adieu pauvre
 
Adieu pauvre carnaval                  Adieu pauvre carnaval
 
Tu t’en vas e ieu demori               Tu t’en vas et moi je reste
 

Per mangar la sopa a l’oli             Pour manger la soupe à l’huile
 
Per magar la sopa a l’alh              Pour manger la soupe à l’ail
 
 
 
Polin : Poulain (Caux a eu un poulain entre 1864 et 1907)
Couguet : Vendeur de choux. Ancêtre d’André Pibre
Gavach : Gars des Hauts cantons, Aveyron, Lozère ou Tarn


Tous nos remerciements à Etienne DAUDER, descendant de Marius DEJEAN, qui nous a prêté le cahier de notes sur le carnaval et grâce auquel nous avons pu rédiger cet épisode de la vie caussinarde.